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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/82

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peine le vaisseau fait-il une lieue en deux heures et comme ce vent-là est bien rare entre les tropiques, nous craignons beaucoup qu’il ne change bientôt. Enfin, profitons d’une légère faveur du ciel et toutes les fois que nous pourrions être plus mal, pensons que nous sommes bien. Voilà le langage de la philosophie et voilà en même temps ce qui prouve combien elle est triste, puisqu’elle occupe toujours notre esprit de l’idée du plus grand mal possible, pour lui faire faire une comparaison avantageuse. Avec cela, c’est le meilleur remède à toutes les afflictions, mais elle est comme les remèdes qui n’ont jamais bon goût ; je n’en connais qu’un seul qui m’ait toujours charmé et toujours guéri, c’est de me jeter dans les bras de ma femme ; mais, hélas ! qu’il y a loin d’ici.


Ce 21. — Je l’avais bien pensé, notre petite fortune d’hier a été de courte durée ; nous sommes à cette heure pis que jamais, ne sachant pas s’il ne faudra point courir en Amérique pour faire des provisions, car nous voilà réduits à la viande salée, au vin aigri, à l’eau pourrie, etc. Mon pauvre cuisinier (celui de feu M. de Cernay) est malade à la mort ; nous ne savons où le placer, ni avec quoi lui faire du bouillon. Les maladies augmentent ; un des plus aimables officiers du vaisseau vient d’être attaqué, beaucoup de soldats et de matelots sont sur leurs hamacs, notre bâtiment sera un Hôtel-Dieu en arrivant à Gorée. Pour moi, je suis mieux depuis quelques jours et j’en ai été quitte pour de grandes migraines, de fortes courbatures et de petits frissons. Adieu, chère femme ; voilà de tristes détails, mais pense en les lisant que ton mari en est quitte et que l’instant de son retour approche.