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Page:Boufflers - Journal inédit du second séjour au Sénégal 1786-1787.djvu/84

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démon invisible qui se plaise à nous persécuter, tâchons qu’il soit plus tôt las que nous. Tu penses bien que le récit de toutes ces misères-ci parviendra en d’autres mains que les tiennes ; peut-être qu’on sera touché de ce que je souffre par un zèle dont ce pays-ci n’avait point encore vu l’exemple, et qu’un bon mouvement portera ceux dont je dépends à raccourcir mon exil. Alors je remercierais les flots, les vents, les tempêtes et même les calmes, puisque je leur devrais de t’embrasser un ou deux mois plus tôt. Adieu.


Ce 24. — Nous ne pouvons pas dire que nous allions bien, mais au moins nous commençons à nous trouver en mesure d’arriver tôt ou tard, quelque vent qu’il fasse, parce que nous avons dépassé la hauteur d’un banc invisible qui s’étend au loin dans la mer, et tant que nous étions en dessous, nous avions toujours à craindre d’y être jetés, au lieu que nous pouvons à cette heure courir jusque vers la terre et chercher des variations de vent qui y sont plus fréquentes qu’au large et qui nous serviront à regagner Gorée. Je n’ai plus qu’une demande à te faire : c’est de ne pas lire un mot de tout ce que je t’écris depuis que je suis embarqué, car cela doit être aussi monotone et aussi triste que ma navigation, et, malgré tes droits sur tout ce qui m’appartient, je ne veux t’admettre qu’à la communauté des biens et point à celle des maux. Adieu.


Ce 25. — On finit par s’accoutumer à tout, même à cette vie-ci. Il y a des moments où j’oublie qu’il y a quelque part de la terre ; je regarde notre amour comme un rêve qui m’a été envoyé du ciel pour