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Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/105

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un degré moindre et qui est toujours en rapport direct avec la grandeur de leurs privilèges et la hauteur de leur position sociale. De l’immensité humaine surgissent des individus, familles et races qui tendent à s’élever au-dessus du niveau commun ; ils gravissent péniblement les hauteurs abruptes, parviennent aux sommets du pouvoir, de la richesse, de l’intelligence, du talent, et une fois arrivés, sont précipités en bas et disparaissent dans les abîmes de la folie et de la dégénérescence[1] ». À cette dégénérescence on nous a montré que nos aristocraties citadines n’étaient pas soustraites, mais au contraire, en un sens, plus exposées que les autres. La vie qu’elles mènent dans leurs royaumes modernes, qui sont les villes, vie à la fois sédentaire et agitée, qui n’exerce pas assez le corps en exerçant trop l’esprit, n’est-elle pas essentiellement déséquilibrante ? Cette trépidation morale est plus déprimante que la trépidation matérielle. Cette suractivité mentale jointe à l’inactivité physique, qui tend jusqu’à les rompre certains ressorts de l’organisme tandis qu’elle relâche les autres, a vite fait de ruiner les constitutions les plus solides. Ainsi M. Ammon[2] nous apitoie sur le sort de l’élite, victime de sa fonction sociale.

Mais qu’il prenne garde de trop la plaindre. Car ses doléances témoigneraient contre l’institution même qu’il veut défendre. Si elle anéantit ainsi, fatalement, ceux qu’elle élève, comment maintiendrez-vous encore que son mécanisme est parfait ? Vous vous plaignez que la part réservée aux classes possédantes soit trop belle, et qu’elles soient écrasées par le travail intellectuel qui leur incombe. C’est avouer que la division des travaux est actuellement mal comprise[3]. C’est reconnaître que les utopistes n’étaient pas si fous, qui demandaient une union, une alternance récréative et régénératrice

  1. Jacoby, Études sur la sélection, p. 431.
  2. Loc. cit., p. 204-208.
  3. Cf. Jentsch, op. cit., p. 178-199.