Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/13

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métaphysique. Elle ne donnera à l’esprit ni l’impression de l’emprisonnement ni celle de l’abandon. Elle l’amènera, elle aussi, à s’enchaîner, mais de lui-même, parce que les anneaux de la chaîne qu’elle lui présentera ne seront forgés qu’à coups de faits. C’est la science.

La science, voilà bien, en effet, la fille chérie de l’esprit moderne, sa création propre, en laquelle il s’admire et se complaît. Aussi bien et en même temps que notre civilisation est la civilisation démocratique, elle est la civilisation scientifique par excellence. On ne le répétera jamais assez : l’existence d’un corps indépendant de vérités acquises, de jour en jour plus nombreuses et mieux organisées, voilà le fait nouveau, dominateur, autour duquel gravite fatalement dans nos sociétés toute vie spirituelle.

Quelle supériorité pratique nous devons à ce système d’idées et comment, tandis que l’Oriental s’abandonne aux choses, l’Occidental les maîtrise parce qu’il a eu la patience de découvrir leurs lois, il est inutile de le détailler une fois de plus.

Ce qu’il nous importe de noter seulement, c’est la fascination que ce système devait inévitablement exercer sur notre pensée. Les yeux de la chair admirent les conquêtes matérielles de la science : les puits qu’elle fore dans la terre, les tours qu’elle élève dans les airs, les ponts qu’elle lance entre les montagnes. Mais les yeux de l’esprit admirent plus encore ses conquêtes idéales : ces mines profondes qui sont les découvertes, ces passerelles hardies qui sont les équations, ces tours légères qui sont les théories scientifiques. Il y a donc des lois de la nature, et l’homme peut les connaître ! Devant le plus humble manuel de physique ou de chimie, voilà ce que nous répétons avec surprise, avec ravissement. Quelle assurance cette réussite de la science ne rend-elle pas à la pensée humaine ! Comment ne serait-elle pas tentée de généraliser des méthodes si bien éprouvées ? d’appliquer à toutes