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Il accouple pour jamais le métier et la race. Le fils du forgeron ne peut être que forgeron ; le fils du guerrier ne peut être que guerrier ; le fils du prêtre ne peut être que prêtre. D’autre part l’homme appartient tout entier, et non seulement pour toute la vie, mais par toute sa personne, au cercle de son métier. Prêtre, guerrier ou forgeron, il ne peut exercer d’autres fonctions que celles auxquelles il était prédestiné. Il ne peut même contracter alliance avec les membres des autres groupes professionnels. L’individu est prisonnier jusqu’à la mort de la sphère où l’a jeté sa naissance.

Dans ces conditions, l’analogie biologique a beau jeu ; entre une société divisée en castes et un organisme différencié il y a en effet des ressemblances indéniables[1].

La cellule hépatique sécrète de la bile toute sa vie, et ne change jamais de fonction. De même, les cellules qui naissent d’elle restent au même poste ; elles ne se disséminent pas dans les reins, les muscles, les centres nerveux. Lorsque le régime des castes est établi, cet idéal biologique est réalisé dans l’humanité. De père en fils, et pour la vie, les individus sont enfermés dans le métier comme les cellules dans l’organe. Et il est vrai qu’alors la division du travail entraîne dans les sociétés humaines une différenciation proprement dite, aussi profonde que celle dont les vivants donnent le modèle.

Mais est-il vrai que ces conditions se réalisent souvent dans l’histoire humaine, et surtout qu’elles se réalisent d’autant plus sûrement que la division du travail est plus parfaite ? Avons-nous besoin de démontrer une fois de plus que ce régime des castes se rencontre rarement à l’état pur, et qu’en tous cas si ses grandes lignes se laissent reconnaître quelque part, ce n’est pas au terme, mais au début de notre civilisation[2] ?

  1. Cf. Lalande. op. cit., p. 286.
  2. V. notre mémoire sur Le régime des castes, dans le t. IV de l’Année sociologique.