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contribué à la constitution des groupements élémentaires et contribuent encore à leur fixer leurs rangs. Une différenciation sociale stricte, rattachée elle-même à des idées religieuses impératives, domine ici, bien loin qu’elle en découle, la spécialisation technique[1].

Or la remarque veut être généralisée. Les principes séparateurs des hommes peuvent être très divers ; des causes variées fondent les catégories sociales en vertu desquelles telle sorte de métiers se trouve, a priori, réservée ou interdite à telle sorte d’hommes. Mais il est rare qu’on n’aperçoive pas, aux premières phases des civilisations, de pareilles catégories. Dans l’histoire primitive de la civilisation égyptienne comme de l’hindoue, de la romaine comme de la grecque, M. Gumplowicz n’aperçoit que des « luttes de races ». La race la plus forte asservit les autres à ses fins ; elle ne les laisse libres qu’en les forçant au travail ; elle leur impose les besognes basses et s’adjuge les nobles. Ainsi la domination politique serait l’instrument universel des premières spécialisations. Jamais, suivant notre auteur, le travail ne se serait divisé librement : toujours la force, sous une forme quelconque, jette son poids dans la balance et intervient dans la distribution des tâches[2]. De fait, là même où l’on ne perçoit pas d’opposition ethnique bien tranchée, il est de règle dans presque toute l’histoire, jusqu’aux temps modernes, que l’entrée des professions soit ouverte ou barrée par des distinctions anté-professionnelles : au lieu qu’on appartienne à telle classe parce qu’on a pris tel métier, bien plutôt on prend tel métier parce qu’on appartient à telle classe. En ce sens, Duhring avait raison contre Engels : la hiérarchie des situations commande la répartition des fonctions[3].

  1. V. Année sociologique, IV, mém. cit.
  2. Op. cit., p. 216, 204, 235. Cf. Ott, Éc. soc, I, p. 218.
  3. V. Duhring, Cursus, p. 78. Cf. Andler, Revue de métaph., 1897, p. 653.