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Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/19

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postulats sentimentaux où l’on reconnaîtra des influences historiques indéniables — ici l’esprit alexandrin et là l’esprit protestant — mais où l’évidence mathématique n’a rien à voir ? Ces deux exemples démontraient amplement que les sciences formelles sont impuissantes à brider l’esprit métaphysique, que bien plutôt elles se prêtent complaisamment à ses fugues, et que si l’on veut construire une morale vraiment scientifique il est dangereux de perdre de vue l’expérience.

L’expérience conquérait une plus large place dans le système utilitaire. Celui-ci se construit à l’image des sciences physiques renouvelées tout entières par la découverte de Newton[1]. Tout de même que les corps s’attirent les hommes recherchent fatalement leur plus grand bien ; c’est une loi naturelle, établie par une induction méthodique et devant laquelle il faut s’incliner. Et comme la loi de l’attraction installe l’ordre au sein du désordre apparent du monde physique, ainsi dans le monde social, la loi en question est un principe d’équilibre et d’harmonie. Que si, sur certains points, le désordre se montre encore, c’est que les hommes comprennent mal leur intérêt véritable ; un calcul des plaisirs, faisant entrer en ligne de compte leurs diverses dimensions, rectifiera les erreurs de notre instinct. Ainsi, sans intervention d’aucun sentimentalisme subjectif, par une méthode véritablement scientifique, qui fait sa part à l’observation et sa part au calcul, un accord définitif doit s’établir au sein des sociétés. — Mais cette méthode ne laisse-t-elle pas, des deux côtés, plus de jeu qu’elle ne croit aux appréciations subjectives ? Ce soi-disant calcul spéculait sur des qualités irréductibles les unes aux autres, entre lesquelles on ne pouvait opter qu’à coup de préférences personnelles. Et de même

  1. V. Élie Halévy, La Formation du radicalisme philosophique, chap. i (Paris, F. Alcan).