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Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/308

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pas compris la véritable essence de l’égalitarisme moderne, qui est précisément la synthèse de l’une et de l’autre.

Il suit de là que l’intérêt bien entendu de la démocratie lui commande de ne rien négliger de ce qui alimente ce double feu. Dans une démocratie plus que dans toute autre société, il est important que la culture soit répandue grâce à laquelle les consciences communient, comprennent le prix de la vie spirituelle, et, apprenant à dépasser la nature, littéralement s’humanisent. Et s’il est vrai que l’observation scientifique la plus objective ne suffit pas encore pour démontrer aux hommes qu’ils doivent travailler à l’avènement d’une cité juste, dont les membres s’aideraient les uns les autres à s’élever, s’il y faut jusqu’à nouvel ordre une sorte de choix rationnel, alors peut-être serait-il imprudent, et dans une démocratie plus que dans toute autre société, de dédaigner cet art de choisir rationnellement et d’ordonner méthodiquement les fins de la vie humaine en fonction d’une fin universelle, qui s’appelle la philosophie morale[1].

Mais encore une fois il importe, quand il s’agit de doctrines qui s’essaient, de réserver l’avenir. Quel effet produira sur les consciences, une fois que la sociologie l’aura constituée, la morale scientifique ? Et reconduira-t-elle dès lors aux frontières de nos sociétés, comme totalement inutile, toute philosophie morale ? Au vrai personne ne peut apporter aujourd’hui, sur ce point, une réponse certaine. Aussi est-ce sur la morale scientifique que nous connaissions, sur celle qui se constituait sous nos yeux avec des « lois » fournies par les sciences naturelles, que nous avons concentré nos efforts.

  1. C’est à des conclusions analogues qu’arrivent, par des chemins différents, M. Fouillée et M. H. Michel, dans leurs ouvrages sur la politique et la pédagogie.