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Page:Bouglé - La Démocratie devant la science, 1904.djvu/51

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des conséquences secondaires. Il est donc permis de dire qu’ « on naît juge ou marchand, militaire, marin ou agriculteur[1] » et que comme les fils de menuisiers doivent être naturellement les meilleurs menuisiers, les fils de médecins doivent être les meilleurs médecins. Il est vraisemblable que les qualités professionnelles non seulement se fixent, mais se majorent là où les fonctions sont transmises avec le sang. C’est sans doute à des majorations de ce genre que pense M. de Lur-Saluces[2], lorsque, reprenant la thèse du duc d’Argyll, il nous rappelle que « les forces réunies dans un instant donné s’augmentent de toutes les forces accumulées pendant les instants qui le précédèrent ». Et rapprochant les lois de l’hérédité de celles du mouvement, il compare le procédé de la transmission héréditaire à l’ingénieux mécanisme d’Atwood ; ici comme là il y a « addition croissante, accélération continue », et c’est alors que les plus grands effets s’obtiennent par le moindre effort. Le maximum du progrès est assuré par l’accumulation des qualités acquises.

N’est-ce pas singulièrement imprudent, s’il en est ainsi, d’abandonner le choix des professions à l’arbitraire des goûts individuels ? Voit-on la nature envoyer aux reins, aux muscles, aux centres nerveux les cellules qui descendent des cellules hépatiques ? « Dans un animal vivant, dit Spencer[3], le progrès de l’organisation implique non seulement que les unités composant chacune des parties différenciées conservent chacune sa position, mais aussi que leur descendance leur succède dans ces positions. » Le même ordre ne s’impose-t-il pas, a fortiori, aux sociétés humaines, s’il est vrai que le patrimoine organique des fils s’y enrichit de toutes les acquisitions des pères ? Il semble donc avéré que la démocratie,

  1. Maurras, Enquête, 2e fasc., p. 85.
  2. Enquête, 1er fasc., p. 34.
  3. Principes de sociologie, III, p. 349 (Paris, F. Alcan).