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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/105

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LE DISCIPLE

savant aux mains transparentes semblait avoir dans les veines, au lieu des rouges globules d’un sang généreux, un peu de la poussière de cette craie qu’il a tant maniée. Il ne m’a pas légué des muscles capables de contre-balancer l’excitabilité de mes nerfs, en sorte que je lui dois, avec cette faculté d’abstraction qui me rend la moindre activité difficile, une effrénée intempérance du désir. Chaque fois que j’ai souhaité ardemment, il m’a été impossible de réprimer cette convoitise. C’est une hypothèse qui m’est souvent venue quand je m’analysais moi-même, que les natures abstraites sont plus incapables que les autres de résister à la passion, lorsque cette passion s’éveille, peut-être parce que le rapport quotidien entre l’action et la pensée est brisé en elles. Les fanatiques en seraient la preuve la plus éclatante. J’ai vu ainsi mon père, d’habitude extrêmement patient et doux, s’emporter en des colères d’une violence folle qui le faisaient presque s’évanouir. Sur ce point aussi, je suis bien son fils, et à travers lui le descendant d’un grand-père peu équilibré, sorte d’homme de génie primitif, demi-paysan parvenu à force d’inventions mécaniques à une demi-fortune d’ingénieur civil, puis ruiné par des procès. De ce côté-là de ma race, il y a toujours eu un élément dangereux, quelque chose de déchaîné par instants, à côté d’une intellectualité constante. J’ai considéré jadis comme un