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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/112

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LE DISCIPLE

midables dont la science connait le volume, la position et jusqu’aux métaux. Il en était de même des fleurs qu’il me dressait à ranger dans un herbier, des cailloux que je cassais sous sa direction avec un petit marteau en fer, des insectes que je nourrissais ou que je piquais, suivant les cas. Bien avant que l’on ne pratiquât dans les collèges les leçons de choses, mon père appliquait à mon éducation première sa grande maxime : « Ne rien rencontrer que l’on ne s’en rende compte scientifiquement, » conciliant ainsi la paysannerie de ses premières impressions avec la précision acquise dans ses études mathématiques. J’attribue à cet enseignement le précoce esprit d’analyse qui se développa en moi dès cette première adolescence, et qui se serait sans doute tourné vers les études positives, si mon père avait vécu. Mais il ne devait pas achever cette éducation entreprise d’après un plan raisonné dont j’ai retrouvé la trace dans ses papiers. Justement au cours d’une de ces promenades, et dans l’été de ma dixième année, nous fûmes surpris, lui et moi, par un orage qui nous mouilla l’un et l’autre jusqu’aux os. Nous étions en nage d’avoir marché. Pendant le temps que nous mîmes à revenir avec nos vêtements ainsi trempés, mon père eut très froid. Le soir il se plaignit d’un frisson. Deux jours après, une fluxion de poitrine se déclarait, et la semaine suivante il était mort.