Aller au contenu

Page:Bourget - Le Disciple.djvu/126

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
125
LE DISCIPLE

miennes, d’une tête où fermentent des conceptions hautes et larges, d’un cerveau sur le bord du grand horizon intellectuel et qui subit la tyrannie inconsciente d’un autre cerveau, rétréci, chétif, étranger à tout idée générale, à tout vue ample ou profonde ? Aujourd’hui que j’ai traversé cette période d’une adolescence refoulée et contrariée, j’en interprète les moindres épisodes par les lois de constitution des esprits, et je me rends compte que le sort, en en confiant l’éducation de l’enfant que j’étais à la femme qu’était ma mère, avait associé deux formes de pensée aussi irréductibles l’une à l’autre que deux espèces différentes. C’est par milliers que les détails me reviennent où je retrouve la preuve de cette antithèse constitutive entre nos deux natures. Je vous en ai dit assez pour que je me contente de noter avec précision le résultat de ce heurt silencieux entre nos âmes, et, pour emprunter des formules au style philosophique, je crois apercevoir que deux germes furent déposés en moi par cette éducation à contresens, le germe d’un sentiment et le germe d’une faculté : — le sentiment fut celui de la solitude du Moi, la faculté fut celle de l’analyse intérieure.

Je vous ai dit que dans l’ordre de la sensibilité comme dans celui de la pensée, j’avais subi presque aussitôt l’impression de ne pouvoir pas me montrer à ma mère tout entier. J’apprenais ainsi, à peine né à la vie intellectuelle, qu’il y a