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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/134

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LE DISCIPLE

cience jusqu’aux moindres fibres, je m’étais abandonné à cette imagination anticipée de l’émotion qui est la conséquence forcée de cet esprit d’analyse. Je m’étais donc figuré avec une précision extrême les sentiments que j’éprouverais en recevant l’hostie sur mes lèvres. Je m’avançai vers la grille de l’autel drapée d’une nappe blanche avec une tension de tout mon être que je n’ai jamais retrouvée depuis, et j’éprouvai, en communiant, un frisson de déception glaçante, une défaillance devant l’extase dont je ne peux pas traduire le malaise. J’ai raconté plus tard cette impression sans analogue à un camarade resté très chrétien qui me dit : « Tu n’étais pas assez simple. » Sa piété lui avait donné le coup d’œil d’un profond observateur. C’était trop vrai. Mais qu’y pouvais-je ?

Le grand événement de mon adolescence, qui fut la perte de ma foi, ne date pourtant pas de cette déception. Les causes qui déterminèrent cette perte furent nombreuses, et je ne les comprends nettement qu’aujourd’hui. Il y en eut d’abord de lentes, de progressives, qui agirent sur mon âme comme le ver sur le fruit, dévorant l’intérieur sans que le dehors garde un autre signe de ce ravage qu’une petite tache presque invisible sur la pourpre de la belle écorce. La première fut, me semble-t-il, l’application à mon confesseur de ce terrible esprit critique, faculté destruc-