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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/141

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LE DISCIPLE

timentale. Ce que j’avais senti obscurément, cette infériorité intellectuelle de la piété par rapport à l’impiété, m’apparut alors sous un jour étrangement nouveau. Toutes les vertus que l’on m’avait prêchées durant mon enfance s’appauvrirent, se mesquinisèrent, si humbles, si grêles à côté des splendeurs, de l’opulence, de la frénésie de certaines fautes… La foi toute simple, c’étaient ces dévotes, les amies de ma mère, si tristement racornies et vieillottes. L’impiété, c’était ce beau jeune homme qui, au matin de sa dernière nuit, regarde la sanglante aurore et, dans un éclair, découvre tout l’horizon de l’histoire et des légendes pour revenir ensuite appuyer sa tête sur le sein d’une fille belle comme son plus beau songe, et qui l’aime trop tard. La chasteté, le mariage, c’étaient les bourgeois que je connaissais, qui allaient à la musique du jardin des Plantes, le jeudi et le dimanche, de leur même pas régulier, qui disaient du même ton les mêmes phrases. Mon imagination me dessinait en regard, éclairés par les couleurs chimériques de la poésie la plus brûlante, les visages des libertins et des adultères des Contes d’Espagne et des fragments qui suivent. C’était Dalti tuant le mari de Portia, puis errant avec sa maîtresse sur l’eau morte de la lagune, entre les escaliers des palais antiques. C’était don Paez assassinant Juana après s’être enlacé à elle dans une étreinte affolée