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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/173

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LE DISCIPLE

aussi typiques chacun dans leur genre que nous l’étions, le comte et moi, se rencontrent, comment ne se dresseraient-ils pas aussitôt l’un en face de l’autre, tels que deux bêtes d’espèces différentes ? Le cheval qui n’a jamais approché de lions frémit d’épouvante lorsqu’on lui tasse sa litière avec de la paille sur laquelle a couché un de ces fauves. Donc la peur s’hérite, et la peur n’est-elle pas une des formes de la haine ? Pourquoi toute haine ne s’hériterait-elle point ? Dans des centaines de cas, l’envie ne serait donc que cela, — ce qu’elle fut pour moi à coup sûr, — l’écho en nous de haines autrefois ressenties par ceux dont nous sommes les fils, et qui continuent de poursuivre à travers nous des combats de cœur commencés il y a des centaines d’années.

C’est un proverbe courant que les antipathies sont réciproques, et, si l’on admet mon hypothèse sur l’origine séculaire de ces antipathies, ce phénomène de réciprocité devient très simple. Il arrive pourtant que cette antipathie ne se manifeste pas dans les deux êtres à la fois. C’est le cas lorsqu’un de ces deux êtres ne daigne pas regarder l’autre, et aussi que l’autre se cache. Je ne crois pas que le comte André ait éprouvé, dès cette première rencontre, l’aversion qu’il aurait eue pour moi s’il avait lu jusqu’au fond de mon âme. D’abord il fit très peu d’attention à ce petit roturier, venu de Clermont au château pour y être