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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/183

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LE DISCIPLE

supérieur que j’ai souhaité d’être. » Mais l’action et la pensée ne s’excluent-elles pas l’une l’autre ? Elles ne s’excluaient pas à la Renaissance, et, plus près de nous, elles ne se sont pas exclues chez ce Gœthe qui a incarné en lui-même la double destinée de son Faust, tour à tour philosophe et courtisan, poète et ministre ; ni chez Stendhal, romancier et lieutenant de dragons ; ni chez Constant, qui fut l’auteur d’Adolphe et un orateur de feu, en même temps qu’un duelliste, un joueur et un séducteur. Cette culture accomplie du Moi dont j’avais fait le résultat dernier, la fin suprême de mes doctrines, allait-elle sans ce double jeu des facultés, sans ce parallélisme de la vie vécue et de la vie pensée ? Probablement le premier regret que j’eus à me sentir dépossédé ainsi de tout un monde, celui du fait, ne fut que d’orgueil. Mais chez moi, et par la nature essentiellement philosophique de mon être, les sensations se transforment aussitôt en idées. Les moindres accidents me servent à poser des problèmes généraux. Chaque événement de ma destinée me mène à des théories sur toute destinée. Là où un autre jeune homme se fût dit : « C’est dommage que le sort ne m’ait permis qu’une seule espèce de développement, » je me pris à me demander si je ne m’étais pas trompé sur la loi de tout développement. Depuis que j’avais, grâce à vos admirables livres, affranchi mon âme et terrassé les vaines terreurs