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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/185

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LE DISCIPLE

pelais les phrases sur l’amour dans la Théorie des passions. « Il n’a pas toujours été ce qu’il est, » me disais-je, « un mystère criminel a dû traverser sa jeunesse, » et je vous voyais, à mon âge, vous abandonnant aux expériences coupables qui déjà me tentaient obscurément à travers ces allées et venues de mes pensées.

Je ne sais si cette chimie d’âme, très compliquée et très sincère pourtant, vous semblera suffisamment lucide. Le travail par lequel une émotion s’élabore en nous et finit par se résoudre dans une idée reste si obscur que cette idée est parfois précisément le contraire de ce que le raisonnement simple aurait prévu ! N’eût-il pas été naturel, par exemple, que l’antipathie admirative soulevée en moi par la rencontre du comte André aboutit soit à une répulsion déclarée, soit à une admiration définitive ? Dans le premier cas, j’eusse dû me rejeter davantage vers la Science, et dans l’autre, souhaiter une moralité plus active, une virilité plus pratique dans mes actes ? Oui, j’eusse dû. Mais le naturel de chacun, c’est sa nature. Lu mienne voulait que, par une métamorphose dont je vous ai marqué de mon mieux les degrés, l’antipathie admirative pour le comte devînt chez moi un principe de critique à mon propre égard, que cette critique enfantât, une théorie un peu nouvelle de la vie, que cette théorie réveillât ma disposition native aux curiosités passionnelles.