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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/199

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LE DISCIPLE

cience et calcul la comédie à demi instinctive commencée par ce lumineux après-midi de janvier, devant la magnificence d’un paysage qui aurait dû servir de cadre à d’autres rêves.

Aujourd’hui que l’irréparable s’est accompli, et par une pénétration rétrospective horriblement douloureuse, — car elle me convainc moi-même d’inintelligence tout ensemble et de cruauté, — je comprends que j’avais dès lors inspiré à Charlotte le plus vrai, le plus tendre aussi des sentiments. Toute la diplomatie psychologique à laquelle je me suis livré fut donc l’odieux et ridicule travail d’un écolier dans la science du cœur. Je comprends que je n’ai pas su respirer les fleurs qui poussaient pour moi naturellement dans cette âme. Je n’avais qu’à me laisser aller pour connaître, pour goûter les émotions dont j’avais soif, pour vivre une vie sentimentale exaltée et amplifiée jusqu’à égaler ma vie intellectuelle. Au lieu de cela, je me suis paralysé le cœur à coups d’idées. J’ai voulu conquérir une âme conquise, jouer une partie d’échecs quand il suffisait d’être simple, et je n’ai même pas aujourd’hui d’orgueilleuse consolation de me dire que j’ai du moins dirigé à mon gré le drame de ma destinée, que j’en ai combiné les scènes, provoqué les épisodes, conduit l’intrigue. Il se jouait tout entier en elle et sans que j’y comprisse rien, ce drame où la Mort et l’Amour, les deux fidèles ouvriers de l’impla-