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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/256

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LE DISCIPLE

rigueur ingénieuse me permettraient d’accroître l’intensité de cette passion ? J’oubliais la transparence du ciel, la fraîcheur des bois, la majesté des volcans, le vaste paysage déployé autour de moi, pour ne plus voir que des formules d’algèbre morale. J’hésitais entre des solutions diverses pour ce jour prochain où je tiendrais de nouveau Mlle de Jussat en face de moi dans la solitude du château. Devais-je, à ce moment du retour, jouer l’indifférence, pour la déconcerter, pour la réduire, par l’étonnement d’abord, ensuite par l’amour-propre et la douleur ? Piquerais-je sa jalousie en lui insinuant que l’étrangère de mon soi-disant roman était revenue à Clermont et m’écrivait ? Continuerais-je au contraire la série des déclarations brûlantes, des audaces qui enveloppent, des folies qui grisent ? Je reprenais ces hypothèses successivement, d’autres encore. Je m’y complaisais, pour me témoigner à moi-même que je n’étais pas pris, que le philosophe dominait l’amoureux, que mon Moi enfin, ce puissant Moi dont je m’étais constitué le prêtre, demeurait supérieur, indépendant et lucide. Je m’en voulais, comme d’indignes faiblesses, des rêveries qui, à d’autres instants, remplaçaient ces subtils calculs. C’était surtout dans l’intérieur de la maison qu’elles me prenaient, ces rêveries, et devant les portraits de Charlotte épars sur les murs du salon, sur les tables, dans la chambre de Lucien.