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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/320

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LE DISCIPLE

De nous deux en ce moment, de moi qui ne veux pas me défendre en m’abritant derrière le cadavre de Charlotte, et de lui qui, ayant cette lettre où elle lui annonce son suicide, la garde devers lui, pour se venger de l’amant de sa sœur en le laissant condamner comme assassin, lequel est le brave ? Lequel est le gentilhomme ? Toute la honte de ma faiblesse, dans cette nuit où Charlotte s’est donnée à moi, — s’il y a eu honte, — je l’efface en ne me défendant pas, et je trouve une volupté d’orgueil, comme une revanche de ces horribles derniers jours, à ne pas me tuer maintenant, à ne pas demander à la mort l’oubli de tant de tortures. Il faut que le comte André pousse son infamie jusqu’au bout. Si je suis condamné, lui me sachant innocent, lui en ayant la preuve, lui se taisant, hé bien ! les Jussat-Randon n’auront rien à me reprocher, nous serons quittes.

Pourtant je vous ai tout dit à vous, mon vénéré maître, je vous ai ouvert le fond et l’arrière-fond de mon être intime, et en confiant ce secret à votre honneur, je sais trop à qui je m’adresse pour même insister sur la promesse que j’ai pris le droit d’exiger de vous à la première feuille de ce cahier. Mais, voyez-vous, ce silence m’étouffe ; j’étouffe de ce poids que j’ai là toujours, toujours sur moi. Pour tout vous dire d’un mot, et appliqué à ma sensation il est légitime, comme cette sensation même, j’étouffe de remords. J’ai besoin d’être