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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/335

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LE DISCIPLE

Il devait s’être fait beaucoup de mal car son petit visage se contracta dans une grimace de douleur, et il eut, avant de fondre en larmes, ces quelques secondes de silence suffoqué qui précèdent les sanglots des enfants. Puis, dans un accès de rage furieuse, il se retourna contre le banc, dont il frappa le bois avec son poing fermé, furieusement.

— « Es-tu bête, mon pauvre mignon ! » lui dit sa mère en le secouant et lui essuyant les yeux : « Allons, mouche-toi, » et elle le moucha : « Quand tu te seras mis en colère contre un morceau de bois, ça t’avancera bien… »

Cette scène avait diverti le savant. Lorsqu’il se leva pour continuer sa promenade sous ce bon soleil, il y pensa longuement : « Je ressemble à ce petit garçon, » se disait-il. « Dans sa naïveté d’enfant, il anime un objet inanimé, il le rend responsable… Et moi, que fais-je d’autre, depuis plus d’une semaine ?… » Pour la première fois depuis la lecture du mémoire, il osa formuler sa pensée avec la netteté qui faisait la marque propre de son esprit et de tous ses travaux : « Moi aussi, je me suis cru responsable pour une part dans cette affreuse aventure… Responsable ?… Ce mot n’a pas de sens… » Tout en s’acheminant vers la porte du jardin, puis vers l’île Saint-Louis et vers Notre-Dame, il reprenait le détail des raisonnements dirigés contre cette notion de responsabilité