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LE DISCIPLE

parent ou quelque ami des Jussat, flétrissait la philosophie moderne et ses doctrines, incarnées dans Adrien Sixte et plusieurs autres savants. Puis il réclamait un exemple. Dans un paragraphe final, improvisé à la moderne, avec ce réalisme d’images qui est la rhétorique d’aujourd’hui, comme le poétisme de la métaphore fut la rhétorique d’autrefois, il montrait l’assassin de Mlle de Jussat montant à l’échafaud, et toute une génération de jeunes décadents corrigés du pessimisme par cet exemple. En n’importe quelle autre circonstance, le grand psychologue aurait souri de cette déclamation. Il eût pensé que l’envoi venait de son ennemi Dumoulin, et repris des travaux commencés, avec la tranquillité d’Archimède traçant ses figures de géométrie sur le sable pendant le sac de la ville. Mais à la lecture de cette chronique griffonnée sans doute sur un coin de table, chez quelque fille, par un moraliste du boulevard, il aperçut nettement un fait auquel il n’avait pas songé, tant la folie de l’abstraction égarait ce spéculatif hors du monde social : à savoir, que ce drame moral se doublait d’un drame réel. Dans quelques semaines, quelques jours peut-être, celui de l’innocence duquel il possédait une preuve allait être jugé. Or, pour la justice des hommes, le séducteur de Mlle de Jussat était innocent ; et si ce mémoire ne constituait pas un témoignage décisif, il présentait un indiscutable caractère de