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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/35

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LE DISCIPLE

infini avait développé à l’excès dans l’âme le dégoût du réel et diminué la puissance d’acceptation des lois de la nature, — ensuite qu’en établissant l’ordre social sur l’amour, c’est-à-dire sur la sensibilité, cette religion avait ouvert la voie aux pires caprices des doctrines les plus personnelles. Il ne se doutait point d’ailleurs que sa fidèle domestique lui cousait des médailles bénites dans tous ses gilets, et son inadvertance à l’endroit de l’univers extérieur était si complète qu’il faisait maigre les vendredis et autres jours prescrits par l’Église, sans apercevoir cet effort caché de la vieille fille pour assurer le salut d’un maitre dont elle disait quelquefois, reproduisant, sans le savoir elle-même, un mot célèbre :

— « Le bon Dieu ne serait pas le bon Dieu, s’il avait le cœur de le damner. »

Ces années d’un labeur continu dans cet ermitage de la rue Guy-de-la-Brosse avaient produit, outre cette Anatomie de la volonté, une Théorie des passions, en trois volumes, dont la publication aurait été plus scandaleuse encore que celle de la Psychologie de Dieu, si l’extrême liberté de la presse et du livre depuis tantôt dix ans n’avait habitué les lecteurs à des audaces de description que la tranquille férocité technique d’un savant ne saurait égaler. Dans ces deux livres se trouvait précisée la doctrine de M. Sixte, qu’il est indispensable de résumer ici, en quelques traits généraux,