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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/353

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LE DISCIPLE

gestes. La passion de la vengeance, au lieu de l’abattre, le soutenait. Il en oubliait son hypocondrie, et sa parole se faisait vive, impérieuse et nette. « On a tiré au sort ce matin… Sur les douze jurés… J’ai pris leurs noms, » et il consulta ses papiers, « sur les douze jurés, il y a trois cultivateurs, deux officiers retraités, un médecin d’Aygueperse, deux boutiquiers, deux propriétaires, un manufacturier, un professeur, tous des braves gens, des hommes de famille et qui voudront un exemple… Le procureur général est sûr d’une condamnation… Ah ! le scélérat ! que j’ai eu un bon moment, le seul depuis trois mois, à le voir qui arrivait entre deux gendarmes, et de sentir qu’il était pris !… On ne s’échappe pas de ces poignes-là… Mais quelle audace ! Il a regardé dans la salle… J’étais au premier banc… Il m’a vu… Le croirais-tu ? Il n’a pas détourné les yeux… Il m’a regardé fixement, comme pour me braver… C’est sa tête qu’il nous faut, et nous l’aurons. »

Le vieillard avait parlé avec un sauvage accent, et il n’avait pas remarqué la douloureuse expression que son discours avait éveillée sur le visage du comte. Ce dernier, à l’image de son ennemi ainsi vaincu par la force publique, saisi par les gendarmes, comme broyé dans le formidable engrenage de cette anonyme et invincible machine de la justice, avait frissonné d’un frisson de