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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/356

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LE DISCIPLE

L’indignation du vieillard était si forte que soudain il fondit en larmes. Le fils, en présence de cette touchante douleur, sentit, lui aussi, son cœur se fondre et les larmes lui venir, et les deux hommes s’embrassèrent sans se dire un mot. « Vois-tu, » reprit le père quand il put parler, « c’est là le côté affreux de ces débats, cette discussion en public sur des choses si intimes, elle qui avait tant de pudeur pour ses moindres sentiments. Je te l’ai dit… Je suis sûr qu’elle a été malheureuse tout l’hiver par l’absence de Maxime. Elle l’aimait, crois-moi, sans vouloir le montrer… C’est bien cela qui a exaspéré la jalousie de ce Greslou… Quand il est arrivé dans la maison, qu’il l’a trouvée si gracieuse, si simple, il a cru pouvoir la séduire, l’épouser. Comment s’en serait-elle doutée, alors que moi-même, qui ai tant d’habitude des hommes, je n’ai rien deviné, rien vu ?… » Et, lancé sur cette route, durant tout le dîner, puis durant toute la soirée, le marquis parla, parla. Il goûtait cette consolation, la seule possible dans certaines crises, de se souvenir à haute voix. Ce culte religieux que leur malheureux père gardait à la morte était pour le fils, qui écoutait sans répondre, quelque chose de tragique en ce moment où il se préparait… à quoi ? Allait-il vraiment porter ce coup terrible au vieillard ? Retiré dans sa chambre, avec ce grand silence d’une ville de province autour de