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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/73

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LE DISCIPLE

d’odieuse bousculade qu’un dérangement de cet ordre représente à un homme de cabinet que l’action désoriente et pour qui le moindre ennui physique devient un malheur véritable. Les grandes intelligences abstraites subissent de ces puérilités. Le philosophe aperçut, dans un éclair d’angoisse, sa malle ouverte, son linge emballé, les papiers nécessaires à ses travaux actuels mis auprès de ses chemises, sa montée en fiacre, le tumulte de la gare, le wagon et les grossières promiscuités du voisinage, l’arrivée dans une ville inconnue, les détresses de la chambre d’hôtel sans les soins de Mlle Trapenard qui lui étaient devenus nécessaires, quoiqu’il l’ignorât, comme à un enfant. Ce penseur, si héroïquement indépendant qu’il eût marché au martyre, à une autre époque, pour ses convictions, avec la fermeté d’un Bruno ou d’un Vanini, se sentit, devant l’image de ces médiocres tracas, saisi d’une sorte de détresse animale. Il se vit introduit dans la salle d’assises, contraint de répondre aux questions d’un président, en présence d’une foule attentive, et cela sans avoir, contre sa timidité native, un point d’appui dans une idée, — c’est la seule racine d’énergie pour les spéculatifs purs. — « Je ne recevrai plus aucun jeune homme, » conclut-il, profondément troublé par ces prévisions ; « oui, je condamnerai ma porte dorénavant… Mais ne devançons pas les faits… Peut--