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Page:Bourget - Le Disciple.djvu/90

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LE DISCIPLE

me devez bien cela, » insista-t-elle d’une voix dure. « Vous m’avez tant fait souffrir. »

— « Moi ? » interrogea le philosophe.

— « Oui, vous, » reprit-elle âprement, et, tandis qu’elle parlait, son visage exprimait la sombre énergie d’anciennes rancunes : « S’il a perdu la foi, à qui la faute ? À vous, monsieur, à vos livres… Mon Dieu ! Que je vous ai haï à cette époque !… Je le vois encore, et sa figure, quand il m’a dit qu’il ne communierait pas le jour des Morts, parce qu’il avait des doutes. — « Et ton « père ? » lui ai-je dit. « Un jour des Morts !… » — Il m’a répondu : « Laisse-moi, je ne crois plus, « c’est fini. » Il était assis à sa table et il avait un volume devant lui qu’il ferma en me parlant. Je me souviens. Je lus le nom de l’auteur, là, machinalement. C’était le vôtre, monsieur. Je ne discutai pas avec lui, ce jour-là. C’était un grand savant déjà, et moi une pauvre ignorante… Mais le lendemain, pendant qu’il était à son collège, j’amenai M. l’abbé Martel, qui l’avait élevé, dans la chambre de travail pour lui montrer la bibliothèque. J’avais le pressentiment que c’étaient ces lectures qui avaient perdu mon fils. Votre livre, monsieur, était encore sur la table. M. l’abbé Martel le prit, et il me dit ; « Celui-là, c’est le pire « de tous… » Monsieur, pardon si je vous blesse, pardon, mais, voyez-vous, si mon fils était encore le chrétien qu’il a été, j’irais supplier son confes-