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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/136

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Garde impériale ; il était là avec tout ce qui lui restait, pour les sauver ou mourir avec eux.

Aussitôt qu’il aperçut notre colonel, il vint à lui les bras ouverts ; ils s’embrassèrent comme deux hommes qui ne s’étaient pas vus depuis longtemps et qui, peut-être, se revoyaient pour la dernière fois. Le général, les yeux remplis de larmes, dit à notre colonel, en lui montrant les deux pièces de canon et le peu d’hommes qui lui restaient : « Tiens, regarde ! Voilà ce qui me reste ! » Ils avaient fait ensemble les campagnes d’Égypte.

Cette bataille fit dire à Kutusow, général en chef de l’armée russe, que les Français, loin de se laisser abattre par la cruelle extrémité où ils se trouvaient réduits, n’en étaient que plus enragés à courir sur les pièces de canon qui les écrasaient.

Le général anglais Wilson[1], présent à cette bataille, la nomme la bataille des héros ; ce n’était certainement pas parce qu’il y était, car ce mot n’est applicable qu’à nous qui, avec quelques mille hommes, nous battions contre toute l’armée russe, forte de 90 000 hommes.

Le général Longchamps, avec le reste de ses hommes, dut abandonner ses pièces de canon, dont presque tous les chevaux étaient tués, et suivre notre mouvement de retraite en profitant des accidents de terrain et des maisons, pour se retirer en se défendant.

À peine commencions-nous à entrer dans Krasnoé, que les Russes, avec leurs pièces montées sur des traîneaux, vinrent se placer aux premières maisons, nous lâchèrent plusieurs coups de canon chargés à mitraille. Trois hommes de notre compagnie furent atteints. Un biscaïen qui toucha mon fusil, et qui en abîma le bois en me rasant l’épaule, atteignit à la tête un jeune tambour qui marchait devant moi, le tua sans qu’il fît le moindre mouvement.

Krasnoé est partagée par un ravin qu’il faut traverser. Lorsque nous y fûmes arrivés, nous y vîmes, dans le fond, un troupeau de bœufs morts de faim et de froid ; ils étaient tellement durcis par la gelée, que nos sapeurs ne purent en couper à coups de hache. Les têtes seules se voyaient, et

  1. Ce général anglais servait dans l’armée russe.