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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/159

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Le fusil sous le bras droit, comme un chasseur, deux carnassières, une en maroquin rouge et l’autre en toile grise que j’avais trouvée un instant avant, ma hache au côté, un morceau de sang glacé dans la bouche et les deux mains dans mon pantalon, je me remis en route. Il pouvait être neuf heures, la neige avait cessé de tomber, le vent soufflait avec moins de force et le froid avait perdu un peu de son intensité. Je me mis à marcher toujours dans la direction du bois.

Au bout d’une demi-heure, la lune disparut comme par enchantement. C’est ce qui pouvait m’arriver de plus fâcheux. Je restai quelques minutes à me reconnaître, appuyé sur mon fusil et battant des pieds pour ne pas me laisser prendre par le froid, en attendant que la clarté revînt. Mais je fus trompé dans mon attente, car elle ne reparut plus.

Cependant mes yeux commencèrent à s’habituer à l’obscurité de manière à y voir assez pour me conduire. Tout à coup, je crus m’apercevoir que je ne marchais plus dans la même route ; naturellement porté à éviter le vent du nord, je lui avais tout à fait tourné le dos. J’en eus la certitude en ne rencontrant plus, sur mes pas, aucune trace de débris de l’armée.

Je ne saurais dire le temps que je marchai dans cette nouvelle direction, peut-être une demi-heure, lorsque je m’aperçus, mais trop tard, que j’étais sur le bord d’un précipice, où je roulai à plus de quarante pieds de profondeur. Il est vrai de dire que je parcourus cette distance à plusieurs reprises ; que trois fois je fus arrêté par des broussailles. Alors, pensant que c’en était fait de moi, je fermai les yeux et je me laissai aller à la volonté de Dieu. Il fallut aller jusqu’au fond, où j’arrivai sur quelque chose de bombé qui rendit un son sourd.

Je restai quelque temps étourdi, mais comme rien ne m’étonnait plus, après tout ce qui m’était arrivé, je fus bientôt revenu de ma surprise. M’apercevant que mon fusil m’avait échappé des mains, je me mis en tête de le chercher. Mais bien me prit d’y renoncer et d’attendre jusqu’au jour.

Je tirai mon sabre du fourreau et, comme je ne pouvais rien voir, j’allai, tout en sondant, devant moi. C’est alors