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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/172

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un trou qui avait plus de six pieds de profondeur. Il se releva sans rien dire, et, m’avançant son fusil, je l’aidai à sortir. Mais lorsqu’il fut retiré, il se mit à jurer contre le bon Dieu de la Russie et contre l’Empereur Napoléon qu’il traita de conscrit, car il faut, disait-il, qu’il soit tout à fait conscrit pour être resté si longtemps à Moscou : « Quinze jours, c’était assez pour boire et manger tout ce qu’il y avait, mais y rester trente-quatre jours pour y attendre l’hiver, je ne le reconnais plus là ! Oui, répéta-t-il, c’est un conscrit, et s’il était là, je lui dirais que ce n’est pas comme cela que l’on conduit des hommes ! Coquin de Dieu ! m’en a-t-il déjà fait voir des grises, depuis seize ans que je suis avec lui ! En Égypte, dans les sables de la Syrie, nous avons souffert, mais ce n’est rien, mon pays, en comparaison des déserts de neige que nous parcourons, et ce n’est pas tout encore ! Il faut vraiment avoir l’âme chevillée dans le ventre pour résister ! » Alors il se mit à souffler dans ses mains et à me regarder : « Allons, lui dis-je, mon pauvre Picart, ce n’est pas le moment de discuter ! Il faut prendre un parti. Voyons plus à gauche, si nous ne trouverons pas un meilleur passage ! » Picart avait tiré la baguette de son fusil. Il allait toujours en sondant, mais partout, à droite et à gauche, c’était la même chose. Nous finîmes, cependant, par opérer notre passage à l’endroit même où il était tombé. Lorsque nous fûmes sur l’autre bord, nous marchâmes toujours en sondant devant nous. Lorsque nous eûmes fait la moitié du chemin pour arriver au bois, nous fûmes arrêtés par un fond assez semblable à celui où nous avions passé la nuit. Sans trop calculer le danger, nous le traversâmes, et ce fut avec beaucoup de peine que nous arrivâmes de l’autre côté. Là, il fallut, tant nous étions fatigués, s’arrêter encore pour respirer.

Un peu sur notre droite, l’on voyait arriver, d’une vitesse à nous épouvanter, des nuages noirs. Ces nuages, arrivant avec le vent du nord, nous annonçaient un ouragan terrible qui nous faisait présager que nous allions passer une cruelle journée ! Le vent déjà se faisait entendre dans la forêt, à travers les sapins et les bouleaux, avec un bruit effrayant, et nous poussait du côté opposé à celui où nous voulions aller. Quelquefois, nous tombions dans des trous