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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/189

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d’heure. Il y avait des moments où le cheval avait de la neige jusqu’au ventre. Enfin, nous aperçûmes un chemin qui traversait celui sur lequel nous marchions et que nous prîmes pour la grand’route. Mais, avant d’y entrer, il fallait agir avec prudence.

Nous mîmes pied à terre, et, prenant le cheval par la bride, nous nous retirâmes dans la forêt, à gauche du chemin que nous venions de parcourir, afin de pouvoir, sans être vus, regarder sur la nouvelle route que nous reconnûmes, au bout d’un instant, pour être celle que l’armée avait parcourue et qui conduisait à la Bérézina, car la quantité de cadavres dont elle était jonchée et que la neige recouvrait à demi, nous fit voir que nous ne nous étions pas trompés. Des traces nouvelles nous firent aussi penser qu’il n’y avait pas longtemps que de la cavalerie et de l’infanterie y avaient passé : la trace des pas venant du côté où nous devions aller, ainsi que le sang que l’on voyait sur la neige, nous firent croire qu’un convoi de prisonniers français, que des Russes escortaient, avait passé il n’y avait pas longtemps.

Il n’y avait pas de doute que nous étions derrière l’avant-garde russe, et que bientôt nous en verrions d’autres nous suivre. Comment faire ? Il fallait suivre la route. C’était le seul parti à prendre. C’était aussi l’opinion de Picart : « Il me vient, dit-il, une excellente idée. Vous allez faire l’arrière-garde et moi l’avant-garde : moi devant, conduisant le cheval en avant si je ne vois rien venir, et vous, mon pays, derrière, ayant la tête tournée du côté de la queue, pour faire de même. »

Nous eûmes un peu de peine, moi surtout, à mettre à exécution l’idée de Picart, en nous mettant dos à dos et faisant, comme il le disait, le double aigle, ayant deux yeux derrière et deux devant. Nous prîmes encore chacun un petit verre de genièvre, en nous promettant encore de garder le reste pour des moments plus urgents, et nous mîmes notre cheval au pas, au milieu de cette triste et silencieuse forêt.

Le vent du nord commençait à devenir piquant, et l’arrière-garde en souffrait à ne pouvoir tenir longtemps la position ; mais, fort heureusement, le temps était assez clair