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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/223

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ce côté. Il n’y avait pas longtemps que l’Empereur en était sorti, et déjà l’on y avait enlevé toutes les portes. En y entrant, j’aperçus plusieurs chambres que je parcourus : dans toutes il était facile de voir qu’il y avait eu de la farine. J’entrai dans une où je remarquai que les planches étaient mal jointes ; il y avait plus d’un pouce d’intervalle. Je m’assis et, avec la lame de mon sabre, je fis sortir autant de terre que de farine, que je mettais précieusement dans un mouchoir. Après un travail de plus d’une heure, j’en ramassai peut-être la valeur de deux livres, où se trouvait un huitième de terre, de paille et de petits morceaux de bois. N’importe ! Dans ce moment je n’y fis pas attention. Je sortis heureux et content. Comme je prenais la direction de notre bivac, j’aperçus un feu où plusieurs soldats de la Garde se chauffaient. Parmi eux était un musicien de notre régiment qui avait sur son sac une gamelle de fer-blanc. Je lui fis signe de venir me parler, mais, comme il ne se souciait pas beaucoup de quitter sa place, ne sachant pas pourquoi je l’appelais, je lui montrai mon paquet en lui faisant comprendre qu’il y avait quelque chose dedans. Il se leva, quoique avec peine, et, lorsqu’il fut près de moi, je lui dis, de manière que les autres ne puissent l’entendre, que, s’il voulait me prêter sa gamelle, nous ferions des galettes que nous partagerions. Il consentit de suite à ma proposition. Comme il y avait beaucoup de feux abandonnés, nous en cherchâmes un à l’écart. Je fis ma pâte et quatre galettes ; j’en donnai la moitié à mon musicien que je ramenai avec moi au régiment, toujours sur le bord de la Bérézina. En arrivant, je partageai avec ceux qui m’avaient conduit sous les bras et, comme elles étaient encore chaudes, ils les trouvèrent bonnes. Après avoir bu un peu d’eau bourbeuse de la Bérézina, nous nous chauffâmes en attendant l’ordre de passer les ponts.

Auprès de notre feu était un soldat de la compagnie qui se mettait en grande tenue : je lui en demandai la raison. Sans me répondre, il se mit à rire en me regardant. Cet homme était malade ; son rire était le rire de la mort, car il succomba pendant la nuit.

Un peu plus loin, c’était un vieux soldat ayant deux chevrons ou, si l’on veut, quinze ans de service. Sa femme était