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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/253

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par-dessus tout, une peau de mouton que j’attachai avec des cordes. J’en fis autant à la main droite.

Je me disposais à sortir, lorsque le juif m’engagea à rester. Il me dit qu’il y avait du riz à me vendre : je lui en achetai une portion, pensant que cela me serait bon pour arrêter le mal. Je le priai de me procurer un vase pour le faire cuire ; il alla me chercher une petite bouilloire en cuivre rouge que j’attachai sur mon sac avec ma botte, ensuite je sortis de la maison après lui avoir donné dix francs.

Lorsque je fus dans la rue, j’entendis des cris de désespoir : j’aperçus une femme pleurant sur un cadavre à la porte d’une maison. Cette femme m’arrêta pour me dire de la secourir, de lui faire rendre tout ce qu’on lui avait pris : « Depuis hier, me dit-elle, je suis logée dans la maison que vous voyez, chez des scélérats de juifs. Mon mari était fort malade : pendant la nuit, ils nous ont pris tout ce que nous avions, et ce matin, je suis sortie pour aller me plaindre. Voyant que je ne pouvais avoir de secours de personne, je suis revenue pour soigner mon pauvre mari ; mais lorsque je suis arrivée ici, jugez de mon effroi en voyant, à la porte de la maison, un cadavre ! Ces scélérats avaient profité de ce que j’étais sortie pour l’assassiner ! Monsieur, continua-t-elle, ne m’abandonnez pas ! Venez avec moi ! » Je lui répondis qu’il m’était impossible, mais que ce qu’elle pouvait faire de mieux était de se réunir à ceux qui partaient. Elle me fit signe de la main que c’était impossible, et comme, depuis un moment, j’entendais des coups de fusil, je laissai cette malheureuse et me dirigeai du côté de Kowno, où j’arrivai au milieu de dix mille hommes de toutes armes, femmes, enfants se pressant, se poussant afin de passer les premiers.

Le hasard me fit rencontrer un capitaine de la Jeune Garde qui était mon pays[1]. Il était avec son lieutenant, son domestique et un mauvais cheval. Le capitaine n’avait plus de compagnie, le régiment n’existait plus. Je lui contai mes peines, il me donna un peu de thé et un morceau de sucre, mais, un instant après, une autre masse de monde arriva

  1. M. Débonnez, de Condé, tué à Waterloo, chef de bataillon. (Note de l’auteur.)