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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/279

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que, sous la neige, ce n’était que des amas de glace en pointe, placés les uns sur les autres, formant, par intervalles, des tas raboteux et d’autres sous lesquels il y avait des excavations. Ce bouleversement du fleuve était probablement survenu à la suite d’un dégel, ensuite d’une débâcle suivie d’une forte gelée qui les surprit et les arrêta dans leur course.

Cependant, Poumo, qui marchait devant moi de quelques pas, s’était arrêté et voyant que je ne le suivais pas, n’en effectua pas moins son passage, avec trois vieux grenadiers de la Garde, mais c’est avec beaucoup de peine qu’ils arrivèrent à l’autre bord.

Je me rapprochai de Faloppa dont j’étais séparé seulement par la hauteur de la digue, pour lui dire de suivre la gauche de la colonne ; que, tant qu’à moi, puisque j’étais descendu sur la glace, j’allais suivre de cette manière jusqu’à la fin du défilé et que, là, j’attendrais. Aussitôt, je me mis à marcher au-dessous de cette masse d’hommes qui avançaient lentement et qui, ensuite, s’arrêtaient en criant et en jurant, car ceux qui étaient sur le bord craignaient de tomber au bas de la digue et sur la glace, comme c’était déjà arrivé à plusieurs que l’on voyait blessés, que l’on ne pensait pas à relever et qui, peut-être, ne le furent jamais.

J’avais déjà parcouru les trois quarts de la longueur du défilé, lorsque je m’aperçus que le fleuve tournait brusquement à gauche, tandis que la route, tout en s’élargissant, allait tout droit. Il me fallut revenir presque au milieu du défilé, à l’endroit où la digue me parut moins haute, et là, faisant de vains efforts, faible comme j’étais et n’ayant qu’une main dont je pusse me servir, je ne pus jamais y parvenir.

Je montai sur un tas de glace afin que l’on pût, sans se baisser beaucoup, me donner une main secourable : je m’appuyais, de la main gauche, sur mon fusil, et je tendais l’autre à ceux qui, à portée de moi, pouvaient, par un petit effort, me tirer de là. Mais j’avais beau prier, personne ne me répondait ; l’on n’avait seulement pas l’air de faire attention à ce que je disais.

Enfin Dieu eut encore pitié de moi. Dans un moment où cette masse d’hommes était arrêtée, je levai la tête et, voyant