Aller au contenu

Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/289

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les sous-officiers comme sur les soldats — il est vrai que l’on ne pouvait pas beaucoup en faire la différence — pour les faire partir. Il entrait dans les maisons et y faisait entrer les officiers, afin de s’assurer qu’il n’y avait plus de soldats. En cela, il faisait bien, et c’est peut-être le premier bon service que je lui ai vu rendre au soldat. Il est vrai que cette distribution de coups de bâton était, pour lui, plus facile à faire que celle de vin ou de pain, qu’il faisait faire en Espagne.

J’aperçois un chasseur de la Garde arrêté contre une fenêtre, et qui mettait la baïonnette au bout de son fusil ; je lui demande si c’était les Russes qui étaient dans la ville : « Mais non, non !… Vous ne voyez donc pas que c’est ce butor de général Roguet qui, avec son bâton, frappe sur tout le monde ? Mais, qu’il vienne à moi, je l’attends !… »

Nous n’étions pas encore sortis de la maison que je vois l’adjudant-major Roustan arrêté devant la porte ; il me reconnaît et me dit : « Eh bien, que faites-vous là ? Sortez ! Que pas un ne reste dans la maison, n’importe de quel régiment, car j’ai l’ordre de frapper sur tout le monde ! »

Nous sortons, mais le paysan, auquel nous ne pensions plus, reste naturellement chez lui et ferme sa porte. L’adjudant-major, qui a vu ce mouvement et qui pense que c’est un soldat qui veut se cacher, l’ouvre à son tour, rentre dans la maison et ordonne au nouveau soldat de sortir, ou il va l’assommer. Le paysan le regarde sans lui répondre ; l’adjudant-major saisit mon individu par les buffleteries, et le pousse au milieu de nous ; alors le pauvre diable veut se débattre et s’expliquer dans sa langue : il n’est pas écouté, seulement l’adjudant-major pense que c’est parce qu’il ne lui à pas donné le temps de prendre son sac et son fusil ; il rentre dans la maison, prend l’un et l’autre et les lui apporte. Il a vu un homme mort et deux femmes qui pleurent. C’est pourquoi, en sortant, il dit bien haut : « Ce bougre-là n’est pas si bête qu’il en a l’air ! Il voulait rester dans la maison pour consoler la veuve ! Il paraît que celui-ci est un Allemand aussi ; de quelle compagnie est-il ? Je ne me rappelle pas l’avoir jamais vu ! » Dans ce moment, on ne faisait pas beaucoup attention à ce que disait l’adjudant-major, car on avait assez à faire à s’occuper de soi-même.