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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/315

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là. Jugez de notre surprise en nous reconnaissant ! Nous nous embrassâmes en pleurant. Il me dit qu’il avait été blessé le 28 novembre, par ici du pont de la Bérézina, d’un coup de balle dans le mollet de la jambe gauche. Je lui dis que mon dessein était que nous nous sauvions avant que l’on nous fît repasser le Niémen : puisque nous étions dans la Poméranie, pays appartenant à la Prusse, il fallait profiter de l’occasion qui se présentait.

« Les paysans nous apportèrent des pommes de terre et de l’eau, bonheur auquel nous étions loin de nous attendre. L’on nous en fit la distribution ; nous en eûmes chacun quatre ; nous nous jetâmes dessus comme des dévorants, et presque tous avouèrent que, pour le moment, il valait mieux être prisonnier, mangeant des pommes de terre, que de mourir, libre, de faim et de froid sur le grand chemin. Mais moi je leur observai qu’il serait plus heureux de sortir de leurs griffes : « Qui sait, dis-je, si l’on ne nous conduira pas en Sibérie ? » Je leur montrai la possibilité de nous sauver, car j’avais trouvé, derrière la place où j’étais couché avec mon frère, que l’on pouvait facilement en détacher deux planches et passer aisément. On convint que j’avais raison ; mais je ne sais par quelle fatalité, une heure après, l’on vint nous dire qu’il fallait partir. Il commençait à faire nuit ; beaucoup d’hommes, accablés de fatigue, étaient endormis et ne voulaient pas se lever ; mais les Cosaques, voyant que l’on ne répondait pas assez vite à l’ordre donné, frappèrent à coups de knout ceux qui étaient encore couchés. Mon frère qui, à cause de sa blessure, ne pouvait se lever assez lestement, allait être frappé ; je me mis devant, je parai les coups, pendant que je l’aidais à se relever, et au lieu de sortir de la grange comme les autres, nous nous cachâmes derrière la porte, avec le bonheur de ne pas être aperçus.

« Tous les prisonniers et les Cosaques étaient sortis ; nous n’osions respirer. Trois Cosaques à cheval traversèrent encore la grange en galopant et en regardant à droite et à gauche, s’il n’y avait plus personne. Lorsqu’ils furent sortis, je me traînai pour regarder en dehors : je vis un paysan venir, je rentrai à ma place. Il entra dans la grange du côté opposé où nous étions ; nous n’eûmes que le temps de nous couvrir de paille. Fort heureusement il ne nous