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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/331

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ainsi qu’à Grangier, de le suivre, et, lorsque nous fûmes éloignés de manière à ce que personne ne pût nous entendre, il me dit : « Vous allez me faire l’amitié d’accepter un bon coup de vin blanc, vin du Rhin ! — Pas possible ! » m’écriai-je. Pour toute réponse, il nous dit : « Suivez-moi ! » Chemin faisant, il nous conta que, la veille, il avait rencontré un juif avec qui il avait fait connaissance, et cela pour lui vendre des objets dont il voulait se défaire, ses épaulettes de colonel et autre chose encore, mais qu’il n’avait pas manqué, comme cela lui arrivait souvent, de se faire passer pour juif en disant que sa mère était fille du rabbin de Strasbourg et que lui se nommait Salomon. Enchanté, et aussi dans l’espoir de faire un bon marché, l’autre lui avait indiqué sa demeure, en l’assurant qu’il lui procurerait du bon vin du Rhin.

Nous arrivâmes derrière la synagogue : à côté était une petite maison où Picart s’arrêta. Il regarda à droite et à gauche s’il ne voyait rien ; ensuite, se pinçant le nez, il appela d’une voix nasillarde, et à plusieurs reprises : « Jacob ! Jacob ! » Nous vîmes paraître, par un trou, une espèce de figure coiffée d’un long bonnet fourré et ornée d’une sale barbe : c’était Jacob le juif. En reconnaissant Picart, il lui dit en allemand : « Ah ! C’est vous, mon cher Salomon ; je vais vous ouvrir ! » Le juif ouvrit la petite porte, et nous entrâmes dans une chambre bien chaude, mais puante et dégoûtante. Lorsque nous fûmes assis sur un banc autour du poêle, nous vîmes entrer trois autres juifs, dont Jacob nous dit que c’était sa famille.

Picart, qui savait comment il fallait s’y prendre avec ses soi-disant coreligionnaires, commença par ouvrir son sac et en tirer d’abord une paire d’épaulettes, non pas de colonel, mais de maréchal de camp, une pacotille de galons, tout cela neuf et ramassé à la montagne de Wilna, dans les caissons abandonnés.

Il y avait aussi quelques couverts d’argent venant de Moscou. Les juifs ouvrirent de grands yeux ; alors Picart demanda du vin et du pain ; on apporta du vin du Rhin excellent ; le pain n’était pas de même ; mais, pour le moment, c’était plus que l’on ne pouvait espérer.

Pendant que nous étions à boire, les juifs regardaient les