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Page:Bourgogne - Mémoires du Sergent Bourgogne.djvu/92

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les flammes, qui sortaient avec impétuosité, et qui, ensuite, se balançaient par la force du vent, les refoulaient dans le fond de l’abîme.

Alors l’on n’entendait plus que des cris de rage, le feu n’était plus qu’un feu mouvant, par les efforts convulsifs que tous ces malheureux faisaient en se débattant contre la mort : c’était un vrai tableau de l’enfer.

Du côté de la porte où nous étions, sept hommes purent être sauvés en se faisant tirer par un endroit où une planche avait été arrachée. Le premier était un officier de notre régiment. Encore avait-il les mains brûlées et les habits déchirés ; les six autres étaient plus maltraités encore : il fut impossible d’en sauver davantage. Plusieurs se jetèrent en bas du toit, mais à moitié brûlés, priant qu’on les achevât à coups de fusil. Pour ceux qui se présentèrent après, à l’endroit où nous en avions sauvé sept, ils ne purent être retirés, car ils étaient placés en travers et déjà étouffés par la fumée et par le poids des autres hommes qui étaient sur eux ; il fallut les laisser brûler avec les autres.

À la clarté de ce sinistre, les soldats isolés de différents corps qui bivaquaient autour de là, et mourant de froid autour de leurs feux presque morts comme eux, accoururent, non pour porter des secours — il était trop tard et même il avait presque toujours été impossible, — mais pour avoir de la place et se chauffer en faisant cuire un morceau de cheval au bout de leurs baïonnettes ou de leurs sabres. Il semblait, à les voir, que ce sinistre était une permission de Dieu, car l’opinion générale était que tous ceux qui s’étaient mis dans cette grange étaient les plus riches de l’armée, ceux qui, à Moscou, avaient trouvé le plus de diamants, d’or et d’argent. L’on en voyait, malgré leur misère et leur faiblesse, se réunir à d’autres plus forts, et s’exposer à être rôtis, à leur tour, pour en retirer des cadavres, afin de voir s’ils ne trouveraient pas de quoi se dédommager de leurs peines. D’autres disaient : « C’est bien fait, car s’ils avaient voulu nous laisser prendre le toit, cela ne serait pas arrivé ! » Et d’autres encore, en étendant leurs mains vers le feu, comme s’ils n’avaient pas su que plusieurs centaines de leurs camarades, et peut-être des parents, les chauffaient de leurs cadavres, disaient : « Quel bon feu ! » Et on