Aller au contenu

Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/130

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

des fonctions. Leibniz était, comme Descartes, un homme à système, un homme qui voyait grand. Aussi la portée lointaine des développements convergents ne pouvait-elle lui échapper. Il n’hésite pas à déclarer qu’une science nouvelle vient de voir le jour, et il tire argument de ce fait pour déprécier les études de son précurseur français[1] J’ai montré — écrit-il — combien la géométrie de M. Descartes est bornée. « Les problèmes les plus importants ne dépendent point des équations auxquelles se réduit toute la géométrie de M. Descartes ». « Je ne pouvais m’empêcher de rire quand je voyais qu’il [Malebranche] croit l’algèbre la plus grande et la plus sublime des sciences. » L’algèbre, en effet, c’est-à-dire la science cartésienne, diffère de la science leibnitienne (dont la méthode essentielle est la méthode du développement en série)[2] comme « l’analyse » de la « synthèse »[3].

La sévérité de ces jugements ne tire pas en elle-même à conséquence, et elle est naturelle de la part d’un novateur et d’un esprit tourné vers l’avenir plutôt que vers le passé. Mais la différence de nature que Leibniz croit discerner entre la méthode algébrique et la science synthétique serait, si elle était réelle, un fait objectif d’une importance capitale, qui effectivement nous obligerait à tracer une coupure dans l’histoire de la science aux environs de l’année 1680. L’assertion de Leibniz demande toutefois à être examinée de près en raison de

  1. Cf. Brunschvicg, Les Étapes de la philosophie mathématique, p. 133.
  2. « L’opération synthétique la plus générale — dit Couturat d’après Leibniz — consiste dans la formation d’une série au moyen d’une table ou d’une loi de formation continue » (L. Couturat, La logique de Leibniz, p. 270, F. Alcan).
  3. Cf. L. Couturat, loc. cit., p. 297.