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Page:Boutroux - L’idéal scientifique des mathématiques.djvu/99

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— « Il est d’habitude, chez les algébristes, ajoute Khayyam, de nommer dans leur art l’inconnue qu’on se propose de déterminer : chose ». — Cette habitude se conserva longtemps. L’algèbre fut la Règle de la chose et il y eut en Allemagne une école d’algébristes que l’on appela Cossistes. En latin, l’inconnue était souvent désignée par le mot « radix » et son carré par le mot « census ». Ainsi, dans les relations où figurent l’inconnue et son carré, on distingue trois sortes de nombres : radix, census, numeri simplices (nombres ordinaires, connus). Quelle différence d’espèce y a-t-il entre ces nombres ? C’est là une question que l’algébriste conséquent avec lui-même ne se posera pas. La distinction des connues et des inconnues — de même que celle des déterminées et des indéterminées, des fixes et des variables — est essentielle à qui se préoccupe d’interpréter, par la géométrie ou d’une autre manière, les résultats de l’algèbre. Mais à l’algébriste proprement dit, nous ne saurions trop le répéter, la nature des symboles qu’il manie doit rester indifférente.

C’est faute d’avoir adopté franchement cette attitude que les algébristes furent longtemps retardés dans leur marche en avant. L’histoire du symbolisme algébrique nous en fournit la preuve. On s’habitua facilement à représenter les indéterminées ou les variables par des lettres (les lettres tenant ainsi la place de nombres dont on ne connaît pas la valeur). Mais n’était-ce pas pécher contre le bon-sens que de figurer par des lettres les quantités dont on pouvait écrire directement la valeur numérique ? Viète eut le grand mérite de comprendre le grand avantage que présente, en ce cas encore, l’usage des signes littéraux[1]. En effet, en ne déterminant pas

  1. Pendant longtemps, cependant, on n’osa figurer par des lettres que les nombres positifs qui seuls représentent de véritables gran-