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Page:Bovet - Veuvage blanc, 1932.pdf/22

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auprès du cadavre, puis lue ensuite avec soin, à présent il la relit encore :


« Mon cher Alcide,

« Bien que les circonstances nous aient éloignés l’un de l’autre, je n’ai pas oublié — et toi non plus, j’en suis certain — nos affectueuses relations d’enfance et de jeunesse. Dans les affaires on est très occupé, préoccupé plus encore. Tellement qu’en souffre même l’intimité du foyer. Mais ne pas voir ses parents aussi souvent qu’on le voudrait ne signifie point qu’on soit détaché d’eux, et c’est en toute confiance qu’à l’heure suprême où je me trouve, je viens à toi comme à mon meilleur, à mon plus sûr ami.

« Tu auras vu peut-être mon nom mentionné parmi ceux des grosses maisons de courtage le plus gravement atteintes par le krach des sucres. Pour une fois, la presse sera demeurée en deçà de la vérité. C’est le désastre complet. Non seulement le capital que j’avais acquis par mes spéculations antérieures est fondu comme neige au soleil, mais je suis engagé pour des sommes considérables, sans pouvoir faire honneur à ma signature.

« La faillite, quand elle n’est entachée d’aucune manœuvre frauduleuse — car je ne crois pas que rien puisse être relevé contre moi — ce n’est pas le déshonneur. Bien d’autres ont passé par là, qui, fort sagement et courageusement, ont repris le travail sur de nouvelles bases. Mais en déposant l’uniforme, sans doute n’ai-je pas dépouillé la mentalité militaire. Que demain doive être arraché de ma boutonnière ce ruban rouge conquis au feu, cela équivaut pour moi quasiment à la dégradation.

« Pourquoi alors m’être mis dans les affaires ? Question oiseuse à poser aujourd’hui. J’aimais l’argent. Je