Aller au contenu

Page:Bovet - Veuvage blanc, 1932.pdf/68

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
66
VEUVAGE BLANC

plus de périls, il a conservé son avance, et à cinquante-six ans il avait décroché la troisième étoile. Un beau soldat dans toute la force du terme…

Depuis la veille Claude manquait à la table de famille. Il était retourné à la ferme pour prendre congé définitivement. Randolph Curtis l’attendait à Bruyères. Les deux jeunes gens ensuite devaient aller à Paris, d’où le Canadien se rendrait en Angleterre afin de rendre visite à des oncles et cousins qu’il n’avait jamais vus. Claude s’occuperait de son équipement, puis reviendrait passer auprès des siens les deux mois à courir jusqu’au jour de prendre la mer.

Cette grosse décision n’avait pas été sans provoquer dans la maison Sigebert quelque émoi. Le notaire cependant reconnaissait que cette tête ardente se serait malaisément accommodée aux routinières, aux médiocres besognes du vieux monde, et l’occasion qui se présentait pour tenter la fortune était bonne certes à saisir au passage. Surtout se préoccupait-il du moyen de réaliser sans perte une dizaine de mille francs qui seraient le viatique de l’émigrant. La mère, elle, prenait davantage à cœur la séparation. Elle appartenait toutefois à cette vieille école familiale tenant qu’on élève ses enfants non pour soi mais pour eux, chaque génération en ayant à son tour le profit et la perte. Enlisée dans sa graisse et juchée sur la littérature, Aurore ne se départissait point de son olympienne sérénité. Quant à Julie, il en eût fallu bien davantage pour que la touchât un événement qui ne lui était pas personnel.

Ludivine au contraire se désolait. Ce n’est pas seulement le compagnon de jeu de son enfance qu’elle perdait, le frère affectueux et gai, mais son ami, celui qui eût été son confident si cette gentille petite âme simple et paisible n’avait eu rien à révéler.

— Je ne voudrais pas poser pour celle qui est