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Page:Braddon - Aurora Floyd, 1872, tome II.djvu/12

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AURORA FLOYD

l’avait confiée aux soins d’une sœur de ma mère (ma pauvre mère était morte l’année d’avant), et je pensai que la seule chance qui me restât, c’était de retrouver ma tante Sarah.

Quand Prodder en fut arrivé à cette période de son discours, ceux qui l’écoutaient s’étaient fatigués peu à peu ; les hommes étaient revenus à leurs journaux, et la jeune femme à son livre ; de façon que le Capitaine se trouvait réduit à raconter ses aventures à un jeune homme paraissant posséder un bon naturel, qui semblait s’intéresser au marin bronzé, et qui l’encourageait de temps en temps par un mouvement de tête ou par un amical :

— Ah !… ah !… certainement…

— La seule chance que je puisse avoir, me dis-je, — continua Prodder, — c’est de retrouver ma tante Sarah. Je découvris ma tante Sarah. Elle tenait une boutique de marchandises au détail, lorsque je partis il y a quarante ans, et elle tenait la même boutique quand je revins il y aura samedi huit jours, et il y avait les mêmes écriteaux annonçant les navires en partance, et ceux qui étaient partis il y a deux ans, selon la date inscrite sur les billets ; et les mêmes pains de sucre en bois, enveloppés dans du papier blanc, et la même porte à claire-voie, avec une sonnette qui tintait aussi fort que si elle eût voulu donner l’alarme à tout Liverpool, aussi bien qu’à ma tante Sarah, qui se tenait d’ordinaire dans l’arrière-boutique. La pauvre vieille créature était derrière son comptoir, servant deux onces de thé à une pratique lorsque j’entrai. Quarante années avaient apporté chez elle un tel changement, que je ne l’eusse point reconnue si je n’eusse reconnu la boutique. Elle avait des papillotes noires sur le front, et une broche, comme une espèce de papillon, en cuivre, placée dans les boucles, à l’endroit où il y aurait dû en avoir, et elle avait de la barbe ; les cheveux étaient faux, mais la barbe n’était point fausse ; sa voix était forte et mâle, et elle me parut être devenue plus mâle aussi depuis mes quarante années d’absence. Elle ficela les deux onces de thé, et me demanda ce que je désirais. Je lui répondis que j’étais le petit Sam, et que je voulais ma sœur Éliza.