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Page:Braddon - L’Héritage de Charlotte, 1875, tome II.djvu/100

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L’HÉRITAGE DE CHARLOTTE

un homme est toujours plus porté à douter de ses propres appréciations qu’à admettre facilement une aussi infernale vérité. C’est par cette hésitation bien naturelle que beaucoup d’existences sont perdues. Pendant que le médecin délibère en lui-même, le malade meurt. Et puis, si le secret de cette mort transpire, par suite de circonstances dont le médecin n’a peut-être pas eu connaissance, un cri d’indignation publique s’élève contre lui. La clientèle du docteur est perdue et son cœur est brisé. Ce cri d’indignation eût été plus grand encore peut-être, s’il eût parlé à temps pour sauver le malade et s’il n’avait pas eu la possibilité de prouver son dire. Vous me considérez comme un lâche et un coquin, parce que je n’ai pas osé révéler mes soupçons quand j’ai vu M. Halliday mourant. Tant que ce n’était qu’un soupçon, l’exprimer eût été pour moi la ruine complète. Le jour vint où mes doutes s’étaient presque changés en conviction. Je me rendis à la demeure de M. Sheldon, résolu à insister pour qu’un médecin fût appelé, qui aurait fait de ma conviction une certitude. Mais cette résolution venait trop tard. Peut-être M. Sheldon avait-il hâté le dénouement. Mon malade était mort avant mon arrivée à la maison.

— Comment faire pour la sauver ? » répéta Valentin avec le même ton désespéré.

Il ne pouvait arrêter sa pensée sur la mort du pauvre Tom ; c’était un fait qui pour lui se perdait dans la nuit des temps. Dans tout l’univers, il n’y avait que deux êtres éclairés par une lueur sinistre qui les faisait sortir du chaos ; une jeune fille sans défense, au pouvoir d’un assassin, et son devoir était de lui porter secours.

« Que dois-je faire, répéta-t-il encore, que dois-je faire ?