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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/110

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LA FEMME DU DOCTEUR.

que la lumière du jour aux yeux ravis de Roméo, pendant lesquels Hamlet frissonnait à l’aspect du spectre paternel. Elle se promenait au clair de lune et pensait à tous ses rêves, et elle se demandait quand la vie commencerait pour elle. Elle commençait à vieillir ; oui, — elle y pensait avec un frisson de terreur, — elle avait tout à l’heure dix-huit ans ! Juliette reposait dans le tombeau des Capulets avant cet âge ; la hautaine Beatrix avait vécu, et Florence Dombey était mariée et établie, et l’histoire terminée.

Un désespoir profond s’emparait de cette folle enfant quand elle songeait, qu’après tout, son existence ne serait peut-être qu’une existence vulgaire ; une surface déserte et plate qu’elle parcourrait en se traînant vers une tombe sans nom. Elle qui désirait être quelque chose ! Oh ! pourquoi n’y avait-il pas une révolution, qu’elle pût saisir un couteau, chercher le tyran chez lui, et mourir, afin que le peuple pût parler d’elle et se rappeler son nom lorsqu’elle serait morte ?

Je pense qu’Isabel était dans cette disposition d’esprit qui pousse une honnête et inoffensive jeune personne à tirer sur un souverain affable et vertueux, dans le paroxysme d’une soif insensée de célébrité. Mlle Sleaford voulait être célèbre. Elle voulait que le drame de sa vie commençât et que le héros apparût.

Vague, grandiose et indécise flottait devant elle l’image du prince ; mais combien, hélas ! il tardait à venir ! Viendrait-il jamais ? Existait-il des princes de par le monde ? Existait-il de ces êtres dont les livres lui dépeignaient les manières et les habitudes, mais dont elle n’avait jamais vu l’image mortelle. La Belle au bois dormant dormit un siècle avant que le héros