Aller au contenu

Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/113

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
109
LA FEMME DU DOCTEUR

rencontrait généralement quelque difficulté rhythmique qui arrêtait court ses rêveries poétiques ; mais elle commença une quantité innombrable de vers, et noircit plusieurs rames de papier de sonnets avortés dans lesquels les étoiles, les ruisseaux, les rêves et les fontaines revenaient avec une fréquence hostile à toute originalité ou à toute variété de style.

La pauvre enfant solitaire et ignorante cherchait de toutes parts un mouillage sur l’océan désert de la vie, et elle ne voyait rien que les masses flottantes d’un océan de verdure ondoyant au gré de tous les vents du ciel. Derrière elle, un passé qu’elle n’osait ni contempler, ni se rappeler ; devant elle, un avenir inconnu, couvert d’une ombre mystérieuse, qui paraissait grandiose en raison de son obscurité. Elle avait soif de marcher de l’avant, de déchirer le voile solennel, d’écarter le rideau brumeux, de pénétrer dans l’arche sainte du temple.

Très-tard, dans la nuit, quand les lumières de Conventford s’étaient éteintes sous le ciel étoilé, la jeune fille restait éveillée, regardant parfois ces mondes mystérieux et pensant à l’avenir ; mais jamais, dans aucun de ses rêves, dans le moindre de ses projets, de ses châteaux en Espagne, dans aucune des visions fantastiques construites des fragments des récits qu’elle aimait, jamais l’image bourgeoise du médecin de Graybridge, de Gilbert, ne trouva une place.

George pensait à elle, s’étonnait à son sujet, monté sur Brown Molly, et parcourait les sentiers tortueux du Midland dont les haies brunes verdissaient et où l’aubépine était en fleurs. Il pensait à elle nuit et jour, et s’en voulait de ces pensées ; mais il se demanda, sans plus attendre, quand il pourrait, décem-