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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/132

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LA FEMME DU DOCTEUR.

particulière en l’honneur de son ami et protecteur, Charles Raymond.

George s’arrêta avec Isabel sur le petit pont de pierre, et d’une manière ou d’une autre, encouragé d’ailleurs par le vin de Bourgogne qu’il avait bu, son amour trouva soudain une voix, et il lui dit qu’il l’aimait et que son plus cher espoir sur cette terre était de faire d’elle sa femme adorée.

Il faut croire que cette simple histoire est jolie à sa façon ; car, lorsqu’une femme l’entend pour la première fois, elle est portée à regarder avec bonté l’homme qui la lui raconte, si pauvrement et si timidement qu’il fasse son récit. Isabel écouta avec une complaisance charmante, non parce qu’elle rendait à George l’affection qu’il avait pour elle, mais parce que c’était le premier fragment romanesque de son existence : elle sentait que l’histoire allait commencer sans tarder et qu’elle allait devenir une héroïne. Voilà ce qu’elle sentait, et en même temps une sorte de reconnaissance pour le jeune homme qui était à ses côtés et auquel elle était redevable des sensations agréables qu’elle éprouvait. L’aimait-elle ? Hélas ! elle ne connaissait de cette passion que ce qu’elle en avait appris dans ses livres, et ce qu’elle en connaissait était d’une nature si contradictoire qu’il n’était pas étonnant que ses lectures l’eussent laissée flottant dans un océan de conjectures. Elle pensait qu’il était agréable d’avoir ce jeune homme auprès d’elle, la suppliant et l’adorant de la façon la plus orthodoxe. Il y avait dans le trouble de George quelque chose de contagieux pour cette jeune fille inexpérimentée qui n’avait pas encore appris la plus grande leçon de la civilisation : l’indifférence complète pour les sentiments d’autrui. Elle