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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/155

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LA FEMME DU DOCTEUR

venswood ! Ce pauvre cœur puéril et mécontent souhaitait toujours que son futur maître fût différent de ce qu’il était. Peut-être, pendant toute la durée de ses fiançailles, ne le vit-elle pas une seule fois sous son véritable jour. Elle le revêtait de ses propres fantaisies, et s’illusionnait en cherchant des ressemblances imaginaires entre lui et les héros de ses livres. S’il était brusque et désagréable, il était Rochester, et elle Jane Eyre, tendre et soumise ; s’il était froid, c’était Dombey, et elle se complaisait dans son orgueil, le raillait, et s’occupait sans cesse d’une des orphelines pendant toute une après-midi ; s’il était maladroit et lourdaud, c’était Rawdon Crawley, et elle le protégeait, se moquait de lui, et l’agaçait avec des bribes de français prononcé avec l’accent d’Albany Road, et mettait en œuvre à son profit les plus jolis airs de Becky aux yeux verts. Mais, malgré tout cela, le solide bon sens de ce jeune homme exerçait sur elle une bienfaisante influence, et insensiblement, quand les trois volumes de cour eurent été prolongés aussi longtemps que possible et que l’inévitable conclusion fut proche, elle en était venue à penser avec affection à son futur mari, et à se promettre de se montrer tendre et obéissante avec lui quand elle serait sa femme.

Mais quant à l’amour pur et parfait qui rend trois fois saint le mariage, — cet amour pour lequel il n’existe ni sacrifices trop grands, ni souffrances trop amères, — cet amour qui ne cesse qu’avec la mort et qui semble empreint d’un esprit si divin, que la mort ne peut en être que l’apothéose, — cet amour ne trouvait pas place dans le cœur d’Isabel. Ses livres lui avaient donné une idée vague de cette grande passion,