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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/18

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LA FEMME DU DOCTEUR.

satisfaisante la différence qu’il y avait entre Sigismund Smith tel qu’il apparaissait à ceux qui le connaissaient intimement et le Sigismund Smith des journaux illustrés.

Chez lui, Smith était un jeune homme très-doux, possesseur des yeux bleus les plus tranquilles qui aient jamais animé visage humain, et d’une chevelure bouclée assez abondante. C’était un jeune homme excessivement doux, incapable d’être sarcastique quand il l’aurait voulu, et qui n’eût ressenti que bien légèrement le trait acéré qu’on aurait pu lui lancer. Il était contraire à sa nature de se mettre en colère, de devenir sérieusement amoureux, ou de ressentir un désespoir quelconque. Peut-être fallait-il en chercher la raison dans la débauche de sentiments passionnés qu’il faisait dans ses journaux et qui le laissait au dépourvu pour la vie réelle ? Les gens qui avaient frémi à la lecture de ses romans et qui avaient voulu le voir, le quittaient le plus souvent avec un sentiment de désappointement extrême, sinon avec indignation. Ils s’étaient forgé un modèle auquel l’auteur de la Fiancée du Contrebandier et de Lilia l’abandonnée, devait ressembler. Mais Smith n’arrivait pas à la cheville de ce type populaire ; aussi les admirateurs les plus enthousiastes de ses romans le regardaient-ils comme un imposteur quand il leur était donné de le voir dans l’intimité.

Ce jeune homme était-il le héros byronien qu’ils avaient rêvé ? Était-ce là l’auteur du Colonel Montefiasco ou l’homme à la marque ? Ils avaient imaginé un être superbe, moitié magicien, moitié brigand, visage pâle et regards étincelants, chevelure noire en désordre, le col blanc et nu, vêtu d’une longue tunique de velours noir et possesseur de mains blanches, aux doigts en