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Page:Braddon - La Femme du docteur, 1870, tome I.djvu/182

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LA FEMME DU DOCTEUR.

cheveux dénoués tombant sur ses épaules et ses paupières baissées ombrageant ses joues animées. Puis le prince dangereux, poussé à bout par un inflexible dédain, tomberait malade et serait à l’article de la mort ; et, une nuit, pendant qu’elle serait au bal, vêtue de dentelles nuageuses, les cheveux ornés de diamants, il l’enverrait chercher, il enverrait prier par son valet de chambre cette créature sans pitié, mais belle et adorable, de venir à son lit de mort, et elle le verrait couché, faiblement éclairé par la lumière voilée d’une lampe discrète ; elle le verrait pâle et repentant, romanesque et enchanteur ! Et à l’instant où elle tomberait à genoux, dans tout l’éclat de ses dentelles et de ses diamants, il se romprait un vaisseau et rendrait le dernier soupir ! Puis elle retournerait au bal et se montrerait la plus joyeuse et la plus charmante de ce tourbillon d’élégance et de beauté. Seulement, le lendemain, quand ses femmes viendraient la réveiller, elles la trouveraient… morte !

Parmi les livres que Mme Gilbert emportait le plus fréquemment sur le banc près de la cascade était ce même volume que Charles Raymond avait examiné d’un air si dédaigneux dans le bois de Hurstonleigh, — le petit volume de poésies intitulé les Rêves d’un Étranger. Raymond avait donné à sa gouvernante quelques volumes de littérature facile quelque temps après son mariage, et ce pauvre petit volume se trouva du nombre. Isabel savait par cœur Byron et Shelley, et, comme elle pouvait réciter pendant des heures entières de longs passages mélancoliques de l’un ou de l’autre de ses poètes favoris, elle s’attacha avec ardeur à ce petit volume à couverture verte, œuvre d’un auteur inconnu.